Club allié au Yacht Club de France 

Les Açores en solo

Je souhaitais savoir si naviguer en solitaire sur de grandes distances me plairait. J’ai choisi de partir jusqu’aux Açores pour évaluer mes capacités physiques et mentales.

Quitter le continent et passer au moins 6 jours en mer était une grande découverte pour moi.

Les deux années passées à naviguer ont été très bénéfiques pour cela.

Christian Ménard

E

n 2010, première année de navigation hauturière, j’ai quitté Bayona pour San Miguel, la plus grande île des Açores. J’ai frôlé d’un peu trop près l’anticyclone et me suis retrouvé sans vent, obligé de mettre le moteur pour aller le chercher.

J’ai eu la chance en arrivant à Bayona de rencontrer un marin qui avait énormément navigué en solitaire. Il m’a expliqué comment il gérait ses navigations et surtout son sommeil en fonction des routes. Sur une route de cargos, on dort par tranche de 20 mn, hors route de cargos, par tranche de 1h30 mn. La navigation de Bayona à San Miguel se faisant hors route de cargos, je dormais par tranche de 1h30 mn. La méthode pour respecter à la lettre ce temps de sommeil est très simple. Il faut dormir assis, le tronc incliné à 30 degrés en arrière, et coincé de chaque côté, encastré entre la table du carré et la banquette, par exemple, de façon à ne pas pouvoir se retourner. Dès qu’on arrive dans le sommeil léger, comme on ne peut pas se retourner, on se réveille. C’est imparable ! Il m’a également conseillé de faire un tour d’enrouleur au génois la nuit pour que le guindant se retrouve coincée dans l’étai creux par la voile. Si un coup de vent arrive, le guindant ne risque plus de sortir de l’étai, ce qui est arrivé à beaucoup de navigateurs ! Si en plus cela arrive pendant le sommeil, on se retrouve vite dans une situation dangereuse et difficile à gérer en pleine nuit !

J’avoue ne pas avoir pensé à appliquer ce conseil au début de ma croisière. Mal m’en a pris ! J’étais à l’intérieur lorsque j’ai entendu une explosion. La manille de point d’amure du génois devait avoir une paille, elle a explosé ! Le temps de sortir sur le pont, 50 cm de guindant était déjà sorti de l’étai creux. J’ai aussitôt fait faire 3 ou 4 tour à l’enrouleur en attendant le jour pour remettre tout en place. Depuis, je pense toujours à faire un tour à l’enrouleur dès que la nuit tombe !

Cette première expérience a été très positive. Non seulement je me sentais bien au bout de 3 jours, mais j’avais de plus en plus envie de continuer. Plus les jours passaient plus j’appréciais ma croisière. Au bout des 6 jours, j’aurais volontiers continué !

L'exploration des îles m’a consolé !

J’ai découvert que les gens naviguant loin n’ont plus du tout le même comportement que ceux qui naviguent à la journée ou pendant 2 ou 3 jours. Ils sont plus proches les uns des autres et forment une communauté chaleureuse. Quand j’arrivais dans un port, les gens me voyant manœuvrer seul venaient spontanément m’aider puis m’invitaient à venir à leur bord prendre un verre et raconter ma traversée. L’expérience de chacun profite ainsi à tous. Nous maintenons le contact entre nous.

J’ai également découvert la gentillesse des habitants des îles. Ils ne veulent pas être envahis par le tourisme de masse. Donc tous ceux que l’on rencontre sont arrivés en bateau ou sont des continentaux qui rendent visite à leur famille.


Le deuxième voyage et ensuite...

En 2010, je ne suis parti que deux mois et demi.  Après avoir quitté la France, je suis passé par Bayona,  San Miguel, Horta, San George et ­Tercera ensuite retour en France avec escale à La ­Corogne.

En 2011, Je suis parti trois mois. J’ai visité la Galice puis Lisbonne. Ensuite Madère puis Santa Maria, Horta, San George, Tercera, Graciosa puis retour en France. A chaque escale, j’ai rencontré des gens sympathiques. Ne parlant pas un mot d’anglais, je redoutais des relations difficiles avec les autres navigateurs. Je me suis rendu compte qu’il valait mieux ne pas parler du tout l’anglais, ainsi ces derniers faisaient l’effort de se faire comprendre dans un français approximatif. Je me suis lié d’amitié avec deux couples et deux navigateurs solitaires . Ces amis me font régulièrement profiter de leurs expériences par mail au fil de leurs perégrinations.

En 2014, j’ai l’intention de traverser l’Atlantique pour aller dans les Caraïbes passer la saison et ne rentrer que fin août 2015. Un voyage de 16 mois. Espagne, Portugal, Madère, Les Canaries, Cap Vert. Puis la traversée avec atterrissage à La Barbade ou Sainte-Lucie. Ensuite Martinique, Les Saintes, Marie-Galante, La Guadeloupe, Antigua, Saint Barthélémy, Saint Martin jusqu’aux Iles vierges. Retour par les Açores.

Il ressort de ces voyages que la préparation est bien sûr importante mais qu’il faut avant tout bien savoir ce que l’on a envie de faire !  Une fois parti, Il faut s’adapter en permanence car les choses ne se passent jamais comme prévu. Le maître restant le temps, n'imposant que des options.

Il faut savoir que le retour se fait dans des conditions plus dures. Il faut flirter avec les dépressions pour avoir du vent, ce qui implique des conditions de navigation plus fatigantes, un sommeil plus difficile. Si on ne veut pas affronter les dépressions, il faut partir plus tôt, mais le retour se fera en grande partie au moteur !


Prévisions météorologiques

J’analysais tous les jours les prévisions à 7 jours de tout l’Atlantique en observant le parcours de toutes les dépressions qui se suivaient. Travail méticuleux qui me prenait une bonne heure chaque soir. J’en déduisais leur position possible lors de mon trajet de retour afin d’aller chercher du vent au devant d’elles. Ce calcul me donnait une fenêtre de départ afin de ne pas me retrouver sur le plateau continental avec 50 nœuds de vent et une mer forte et hachée ! Pour affiner encore plus cette fenêtre, j’ai fait une analyse météo détaillée toutes les 6 heures pendant les 24 dernières heures avant mon départ. J’ai mis 24 heures pour traverser la dépression qui a duré 3 jours. J’ai atterri à Camaret ou je me suis reposé quelques jours.

Quelques enseignements

En 2011, j’ai amélioré ma trinquette et maintenant elle est vraiment opérationnelle. J’ai organisé toutes les manœuvres pour les gérer en sécurité depuis le cockpit en restant attaché. La trinquette est ­« hookée » par la drisse et amurée sur un emmagasineur. L’étarquage se fait par un palan 4 brins sous l’emmagasineur.

Tant qu’on navigue dans la fosse océanique, le lecteur de carte GPS traceur suffit largement avec une grande carte. On reporte la position une fois par jour et c’est largement suffisant.

Il faut préparer le bateau en sachant qu’il y aura du gros temps au retour. Une grand-voile avec trois bandes de ris est nécessaire pour garder de la puissance et bien affronter la mer sans la subir.

Bien apprendre à gérer son sommeil, et surtout, la météo grâce aux fichiers Ugrib, de la météo américaine. Enfin savoir que chaque traversée est nouvelle.

Propos recueillis par Patrick Fébié

Quai de la Marine 14800 Deauville

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