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Retour sur la terre ferme après la Cervantès

Saute Moutons – New First 30

François Tirveilliot

Cervantès

course IRC du RORC du 2 au 3 mai 2015

L

e parcours nous emmenait de Cowes au Havre en sortant par Les Needles, au 250 environ. Il comportait une bouée à virer le long des côtes anglaises au 260, à environ 30 milles du départ, pour ensuite rejoindre le Havre, près de 110 milles plus loin.

La météo annonçait un vent d’ouest qui devait tourner au 130 puis au 200.

Départ 10 h UTC+1.

Sur la ligne, nous nous rendons compte que le vent au 130 attendu dans l’après midi est déjà là.

Nous hésitons entre notre A3 type Code zéro IRC de 63 m2 ou notre grand spi symétrique de 85 m2, d’autant plus que nous avons 20 kts de vent sur la ligne et qu’elle est abritée. Nous attendons plus de vent à l’écart de la cote.

Foggy Dew semble prendre le meilleur départ, nous sommes bien placés, car nous nous sommes calé sur lui. Il lance son spi symétrique au franchissement de la ligne. J’applique mon plan. Nous nous calons au milieu du Solent pour prendre le plus fort du courant et nous écarter de la cote qui perturbe l’écoulement du vent, puis cap sur les Needles et envoi du grand spi. Avec cette manœuvre et l’hésitation entre le A3 et le grand spi, nous sommes les derniers dans notre groupe à l’envoyer, nous avons donc pris du retard mais, nous restons groupés au contact immédiat.

Nous sommes à 110 - 120 degrés du vent, toujours dans 20 - 25 kts. Le léger clapot ne gène pas le bateau qui est toujours bien en ligne. Il se met à ronronner et affiche des vitesses entre 10 et 13 kts au speedo. Un équipier à l’écoute de spi, un autre au hale-bas de GV, et un troisième à l’écoute de GV régulent la puissance. Moi, je suis debout à la barre. Tous ensembles, bien concentrés, nous avortons les tentatives de départ au lof. Le bateau file toujours, la trace est nette. Nous revenons sur les croiseurs de notre groupe et l’écart avec les JPK 1010 se stabilise.

A la sortie des Needles nous ne sommes plus abrités de la houle par l’ile de Wight et nous nous retrouvons à 90 - 100 degrés du vent qui a légèrement forci et tourné. Je décide d’affaler le grand spi et d’envoyer le A3 à la place, d’autant plus que nous avons remarqué devant nous des bateaux en difficulté. D’autres ont envoyé le spi de capelage. Je préfère anticiper le problème.

Bien nous en a pris, la plupart des bateaux sous grand spi symétriques se vautrent, un magnifique 45 pieds devant nous voulant affaler son spi dans la précipitation le chalute, passe dessus et le déchire. Seul des bateaux en course, Nous passerons, seul bateau sous spi asymétrique, ce bord de portant. C’est ainsi que nous reconnaîtrons des JPK 1080 suivis de près par des SunFast 3600, des class 40 et les deux IMOCA de la course, tous au planning.

Nous arrivons à la bouée. Je compte environ une trentaine de bateaux devant nous. Nous ne nous faisons pas de politesse. Le foc est sorti. Je la vire à un mètre pendant que deux équipiers affalent et rangent le spi et que le troisième règle le foc pour prendre le cap au 163 - 165, au près à 32 - 34 degrés du vent, nous avons pris un ris dans la GV.

Pendant ce temps, nous commençons à perdre le bénéfice de notre bord de portant. Nous voyons revenir des bateaux à notre vent malgré notre vitesse de  6,4 - 6,6 kts mais à 32° – 34° degrés du vent réél. C’est quand même beaucoup mieux avec le pataras cette année, mais pas encore suffisant pour gagner encore au vent.

La route que nous suivons est idéale malgré tout. Il est vrai que j’ai relevé directions et forces des courants zone par zone et heure par heure, que je connais bien les capacités du bateau et celles de mes copains, et que j’ai pu étudier les fichiers grib pour faire un routage un peu artisanal mais que François calculera au plus juste et confirmera ainsi ma stratégie. Au moins je n’ai pas de doute, je ne me dis pas et si je m’étais trompé ?! Je suis alors très content de mon coup, d’autant plus que la bascule doit arriver et me permettre au mieux d’envoyer le A3, sinon de faire route au prés débridé, allures ou le bateau est très performant et ou je peux reprendre l’avantage sur mes concurrents. L’ensemble de l’équipage est confiant.

Mais voila, il est 18h00. Nous naviguons déjà depuis 7 heures… Et la bascule n’est pas là. Le vent est toujours au 130. Le courant et la dérive au vent nous ont emmenés à la verticale de Cherbourg. Si nous virons tribord amure, nous aurons le courant traversier de la Manche dans notre arrière, mais le vent nous obligera à prendre un cap au 95 - 100, avec la dérive au vent notre route sur le fond sera en dessous de ça et nous allons remonter une bonne partie de ce que nous avons descendu. Je décide donc de continuer sur la même amure, le courant nous ramenant sur Barfleur et son raz. Si la bascule intervient on virera de bord, si elle n’intervient pas on descendra pour profiter au maximum des forts courants dans le secteur pour se faire éjecter en Baie de Seine mais il faudra virer dans le bon timing pour sortir de cette zone avant la renverse qui nous bloquerait pendant des heures devant Quetteville dont nous voyons parfois le halo lumineux des éclats du phare qui portent à une vingtaine de mille, sous la couche nuageuse. J’expose ma stratégie, l’équipage est d’accord.

22h00, toujours pas de bascule de vent, nous sommes presque à la verticale de Barfleur. Que faire ? Descendre un peu plus et virer une heure avant la renverse ? Mais le temps de sortir de la zone on sera juste et on risque de se prendre un courant orienté ouest, nord-ouest qui risque de nous rejeter !

Je décide donc de ne pas prendre de risque à une demi-heure près et nous virons tribord amure. La flotte s’est scindée en deux. Les plus rapides qui ont pu quitter cette zone sont descendus plus au sud pour ensuite revenir sur le Havre, avec des courants plus faibles dans la Baie de Seine. Nous nous retrouvons dans le premier quart d’un gros groupe à la limite nord de la Baie de Seine. Dans un premier temps, notre route est légèrement au dessus du Havre. La vitesse est de 8 kts sur le fond et nous sommes donc éjectés vers l’est par le fort courant de la zone. Plus loin, le courant sera contre nous mais facilement étalable, la vitesse sur le fond tombera à 4 kts et aura tendance à nous éloigner de la route directe. Cependant, si la bascule arrive, nous pourrons nous recaler facilement. Il est une heure du matin environ, les quarts ont commencé. Je vais me coucher après avoir donné mes consignes.

Je ne dors pas tout de suite. J’écoute le bateau, le glissement régulier de l’eau sur la coque et les conversations des deux copains aux commandes. Le vent est toujours aussi fort, aux alentours de 20 kts. Puis, imperceptiblement, le cap change. Le clapotis de l’eau sur la coque est différent. Les mouvements du bateau sont différents. Je regarde ma montre, il est aux alentours de 3 heures, c’est la bascule, mais timide, au 180 – 190. Insuffisante pour le A3 mais suffisante pour faire une route au près pas trop serré vers le Havre en laissant s’exprimer le bateau. C’est toujours ça. Le barreur exulte, à cette allure nous revenons et dépassons la concurrence, c’est bon. Je m’endors.

Il est un peu plus de 5h00 du matin, les copains m’ont laissé dormir. Au réveil, l’esprit embrumé, j ai une anxiété. La bouée A5, au Nord Ouest du Havre, il ne faut pas l’oublier. On abat légèrement. On a de la vitesse. Nous sommes à 18 milles de la cardinale A5, à 23 milles de la cardinale et à 30 milles du Havre. Je ne sais pas par rapport au groupe sud, mais dans le groupe nord nous sommes très bien placés.

Notre parcours en noir : la montée à Cowes et le retour pour la Cervantès.

(Le parcours noir le long des cotes de Deauville est la trace du Branle bas de l’estuaire, en marron clair des parcours de 2014).

Première alerte quelques milles plus tard. Alain me fait remarquer que nous sommes les seuls à avoir abattu autant. Je lui explique que sans doute les autres estiment que le temps d’arriver sur zone, le courant les portera et qu’ils accentueront leur abattée si nécessaire. Une heure plus tard, pas de réaction des autres concurrents.

Alain : « Tu es sûr pour cette bouée ? »

Moi : « Oui, je suis sûr. Regarde les instructions de course. Tu vois bien que A5, c’est marqué port, bâbord en Français, et que Metzinger c’est marqué starboard, tribord en Français… Et m…. !!! C’est l’autre bâbord ».

La fatigue et mes problèmes de latéralisation m’ont joué un sale tour. Changement immédiat d’amure pour se recaler sur la route. Il n y a pas grande distance de perdue en fait, mais le courant dans cette zone en approche du Havre porte au nord… et nous nous recalons au sud. Ca parait interminable, ces 3 petits milles pour se recaler… Une éternité. Il fait jour, nous voyons passé devant nous des concurrents que nous avons dépassés pendant la nuit. J’estime le temps perdu à environ 1 heure. J’ai honte, je reste un long moment à la table à cartes. Silencieux. Puis le réconfort vient de mes équipiers.

« Ne t’en fais pas, on fait tous des conneries, et puis si tu n’étais pas là, on n’aurait jamais fait tout ça. C’est déjà bien d’être là. »

Bref, reste quand même un sentiment de frustration pour le résultat.

Une fois recalé, le vent et le courant nous emmènerons sans encombre jusqu’à la ligne d’arrivée que nous franchirons donc à 12h 10mn 30 secondes UTC+2.

Nous finissons 87 sur 110 overall, avec quand même la satisfaction d’être devant un IMOCA et juste derrière l’autre en temps compensé.

Sans mon erreur, nous aurions du être 63e overall et 17e dans notre groupe.

Nous avons décidé de remettre ça, le problème de barre et l’erreur sont oubliés.

Merci à Alain, Olivier et Luc.

Merci aussi à mon épouse Sonia et mes gamins pour leur patience.

 François Tirveilliot

Quai de la Marine 14800 Deauville

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