Club allié au Yacht Club de France 

Six milles au portant

Decatur - A 35 - Fastnet 2011

Yves Passat

Cowes, dimanche 14 août 2011, mi-journée.

Bientôt à nous... Les monstres s’ébrouent autour de nous : VOR 70, ­Banque Populaire V, IMOCAs, MOD 70, et100 pieds ICAP ­Leopard et Rambler. Et 300 bateaux en IRC dont Cap’Extrem, nos compagnons du DYC.

Décompte à la radio, bang des canons du Royal Yacht Squadron. Départ des IRC 3, au près sous ORC, 608 milles devant l’étrave. Dans le Solent, les bateaux gîtés font une nuée de triangles inclinés décroissant jusqu’aux Needles.

C’est notre sixième départ de Cowes cette année. L’équipage est aguerri : quatre courses du RORC avant le Fastnet (Cervantes Trophy, Myth of Malham, Morgan Cup, Cowes-Dinard) plus la Normandy Sailing Week, et les régates du DYC. Nous avons eu beaucoup de gros temps et tant de moments de vitesse, de glisse, de tactique, d’embruns, de levers de jour, de quarts, de séances d’habillage et de déshabillage acrobatiques. Tant de lyophilisés, aussi...

Dans la ruée, nous traversons (littéralement) les vagues des Shingles. Nous passons Portland Bill (bataille entre les VOR 70), l’immense Baie de Lyme, puis Start Point pendant la première nuit. Autour de nous, sur l’AIS, nos adversaires familiers. Le lendemain, près du Cap Lizard, dans la grisaille, nous croisons Banque Pop’ qui fonce vers Plymouth. Il battra le record en un jour et huit heures. A Land’s End, en fin de journée, le vent a forci à 30-32 noeuds, toujours du près. A la lumière de sa frontale, le numéro 1 fait avec flegme la cuisine en s’arc boutant. Après avoir téléchargé moult gribs par Iridium et consulté la littérature, nous décidons de ne pas faire la route directe vers le Fastnet (170 milles), de rester un peu à l’Est pour profiter d’une bascule de Nord-Est. Le bateau avance bien dans une mer forte. Espérons… Le lendemain, le vent baisse, le soleil revient. C’est la molle. Pas de bascule… Nous sommes seuls, trop à l’Est.

Nous traînons vers le Fastnet sur lequel la flotte converge en dérivant en tous sens dans l’obscurité. Nous passons le Rock au petit matin du troisième jour. Enfin, un souffle de Nord permet d’envoyer le spi, et, pendant 6 milles, dans le soleil qui se lève et sur la mer plate, nous sommes au portant, en régate acharnée jusqu’à la bouée de dégagement du phare. Là, ça repasse au S - SO en forcissant. Du près jusqu’aux Scilly à 150 milles, à faire bonne marche dans l’immensité bleue, visant trois petits points qui nous devancent, et gardant un œil sur les triangles blancs qui nous talonnent. Puis la nuit. Le bateau froid est de plus en plus humide et la fatigue s’accumule. Aux petites heures du matin, nous passons Bishop’s Rock, cap vers le Lizard encore au près. Là, nous trouvons 3 nœuds de courant contraire et des risées qui ne permettent pas d’étaler. Nous mouillons. Pas satisfaisant, mais avec le courant et sans guindeau, impossible de remonter l’ancre. On coupe ! Pendant des heures tendues, nous voyons les traînards nous rejoindre.

Après le Lizard, le vent revient, et, dans le soleil qui descend dans une luminosité exceptionnelle, une incroyable et magnifique nouvelle régate de cent bateaux s’élance. Pendant ces derniers 45 milles, toujours au près, nous ferraillons fort. Mais, à la nuit, s’il y a derrière nous un gros nuage de points bien rangés — tous les verts d’un côté, les rouges de l’autre — il y a toujours des feux blancs devant. Aux abords de Plymouth, le vent tombe, l’armada resserrée glisse dans la nuit, avec pour seul bruit le friselis de l’eau lorsqu’un bateau attrape une petite risée. Des projecteurs fendent l’obscurité, et après des heures de silence et d’immobilité aux aguets, nous passons la ligne.

Yves Passat

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